Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) touche entre 6 et 13 % des femmes en âge de procréer. Pourtant, il reste largement méconnu, mal pris en charge, et souvent relégué à des préoccupations esthétiques ou reproductives. Sur ce terrain médical déserté, prospèrent promesses creuses, business lucratifs et pseudo-médecines.
Plusieurs signes cliniques peuvent amener à soupçonner un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) : des règles douloureuses, l’absence de règles, des difficultés à concevoir, une pilosité qu’on trouve trop importante, de l’acné, des difficultés à prendre ou à perdre du poids, une résistance à l’insuline… Depuis 2003, les critères dits de Rotterdam encadrent le diagnostic du syndrome. Il s’agit de l’« oligo-anovulation » (des règles absentes ou irrégulières), des « ovaires polykystiques » visibles à l’échographie (un volume ovarien augmenté ou la présence de 12 follicules ou plus) et des taux d’androgènes supérieurs à ceux observés chez les individus de même sexe et âge (les médecins parlent encore d’« hyperandrogénie »). Pour être diagnostiqué-e, il faut en cumuler au moins deux sur trois, ce qui, du fait de la variabilité des symptômes, arrive parfois plusieurs années après avoir soupçonné la maladie. Mais les causes du SOPK restent peu comprises et sembleraient multifactorielles. Il n’existe à ce jour pas de traitement qui permettrait de guérir de la maladie.
Il y a quelque chose d’épuisant à porter un corps qui échappe à la norme sociale et médicale. Plusieurs études démontrent que les diagnostics de SOPK sont majoritairement établis dans la vingtaine, possiblement après plusieurs années d’errance médicale, alors que les symptômes peuvent apparaître dès l’adolescence. A ces derniers, l’entourage et le corps médical répondent souvent par un manque de reconnaissance, voire une stigmatisation liée au poids, à la pilosité ou à la fertilité. La dépression et les troubles du comportement alimentaire sont ainsi des comorbidités communes du SOPK.
Le vécu des personnes vivant avec un SOPK peut présenter des similitudes avec celui des personnes intersexes. Elles sont confrontées à des variations hormonales, des interventions médicales visant à « normaliser » leur corps, mais aussi à de la stigmatisation et des violences médicales. Et lorsqu’on sait que 6 à 13% des femmes en âge de procréer seraient atteintes du syndrome, on peut s’interroger sur la pertinence des taux hormonaux considérés comme normaux et sur les effets politiques de leur naturalisation dans les pratiques médicales. Le SOPK, comme d’autres variations hormonales, met aussi en lumière le rôle de la médecine dans la définition de frontières biologiques de sexe – et dans leur régulation concrète sur nos corps. Pour certaines personnes vivant avec le syndrome, cette compréhension de la maladie comme une condition intersexe peut être une clé de lecture utile des trajectoires individuelles et collectives.
Il reste qu’en dehors de la régulation de leurs taux hormonaux, les personnes atteintes se heurtent souvent à une absence de réponse médicale satisfaisante. C’est ce que beaucoup d’entrepreneuses, pour la plupart vivant avec un SOPK, ont aussi compris. Surfant sur le flou entre entraide de personnes concernées et business bien-être, des entreprises proposent ainsi, pour 20 à 60€ la cure mensuelle, des compléments alimentaires censés lutter contre la chute de cheveux, avoir une peau plus nette, booster sa fertilité ou encore être de meilleure humeur. Dans leurs produits phares, le myo-inositol – une molécule naturellement présente dans le corps humain – est présenté comme « l’allié des femmes SOPK ». Bien qu’il s’agisse de la molécule la plus étudiée dans le traitement des symptômes du SOPK, les données existantes sont encore de faible qualité méthodologique et le bénéfice-risque de son utilisation par exemple pour la fertilité est très incertain.
Pour étoffer leur offre, ces entreprises n’hésitent pas à produire du contenu tout aussi scientifiquement douteux : bilans complets par questionnaire, recommandations de régimes à adopter, guides basés sur des « approches naturelles », sophrologie, acupuncture… Bref, l’offre commerciale a fleuri sur le vide médical, et propose surtout des solutions pour être moins grosse, moins poilue, avoir moins d’acné et plus de cheveux. Sur Instagram, les principales entreprises concernées, Sova et Imane Harmonie, cumulent près de 170 000 followers. Le secteur associatif n’y échappe pas, puisque parmi les principales associations de malades, certaines proposent des formations payantes, incluant des sessions pour favoriser sa fertilité au naturel, ou encore sur l’ostéopathie et la sophrologie pour le SOPK.
La multiplication des approches dites naturelles et des pseudo sciences est une constante de l’économie de la santé des femmes, a fortiori dans des domaines où la recherche médicale est peu avancée. Pour le SOPK, c’est aussi le rassemblement sous un diagnostic à trois critères d’un ensemble de symptômes dont la nature, la cause et l’évolution varie fortement d’un individu à l’autre, qui favorise le développement d’approches holistiques (qui prennent en compte l’individu dans sa globalité plutôt que de se concentrer sur les symptômes). Si ces dernières peuvent apporter un soulagement temporaire ou une meilleure compréhension de la maladie aux personnes touchées, elles ne permettent pas l’autonomisation des personnes, car ce sont avant tout des démarches lucratives. Les contours du diagnostic impliquent aussi de trouver des solutions pour s’organiser entre personnes présentant des problématiques et des aspirations différentes : arrêter des règles douloureuses et/ou avoir des règles plus régulières et/ou réussir à concevoir et/ou réduire sa pilosité et/ou son poids… Pour une maladie sous-diagnostiquée et qui pourrait concerner 1 femme sur 10, on pourrait penser que le meilleur moyen d’améliorer la prise en charge des personnes SOPK resterait d’améliorer l’accès à la santé des femmes, dans un système médical qui a été pensé sans nous.