Catégorie : actu

  • Police municipale : qui craint vraiment pour sa sécurité ?

    Police municipale : qui craint vraiment pour sa sécurité ?

    La campagne municipale est bel et bien commencée. Les élections, prévues en mars prochain, sont déjà l’occasion de discuter les divergences idéologiques de plus en plus marquées entre les composantes de l’actuel bloc de la gauche au parlement.

    Dimanche dernier, sur BFMTV, la députée Mathilde Panot, présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, répondait au journaliste qui l’interrogeait sur le programme de son mouvement. « Oui », confirmait-elle, la police municipale sera bien désarmée dans les villes dirigées par des maires insoumis-es, et la vidéosurveillance démantelée. Cette proposition a provoqué une condamnation quasi-unanime du PS au RN. « Ça n’a aucun sens. Comment peut-on même l’imaginer ? » affirme le premier secrétaire du PS Olivier Faure sur FranceInfo, « LFI fait le choix de l’insécurité dans nos communes ! » dénonce Valérie Pécresse, « avec cette gauche, vous n’aurez plus le droit à la sécurité. La gauche sans le peuple » poste Gérald Darmanin sur X, « clairement aujourd’hui le parti des voyous et le parti des racailles » confirme Julien Odoul pour le RN.

    On peut déplorer, pour le débat à gauche, les invectives et l’absence totale de réponse sur le fond à cette mesure, qui figure dans le programme des insoumis depuis déjà longtemps. 

    La séquence a donné lieu à une récitation d’idées reçues assénées comme des évidences, et notamment, dans les réactions des journalistes sur le plateau comme du reste de la droite, celle que la sécurité serait une préoccupation « populaire ». Cette affirmation est pourtant contredite par la réalité : selon l’IFOP, qui testait en 2023 les thèmes prioritaires des français selon un certain nombre de variables, le niveau de revenu joue peu sur la préoccupation sécuritaire, et quand bien même, ce sont les plus pauvres qui y adhèrent le moins. Est-ce parce que pour une part d’entre eux, les auteurs de violences sont parfois les policiers eux-mêmes ? La principale variable explicative reste l’âge : plus on est vieux, plus on considère que la lutte contre la délinquance est un sujet important, alors même qu’on est beaucoup plus rarement victime de délits et de violences.

    La proposition des insoumis formulée par Mathilde Panot est somme toute banale. En 2020, 30 têtes de listes EELV aux municipales signaient un texte qui affirme : « la militarisation de la police municipale manifeste une méconnaissance du droit ou relève de la pure démagogie. » En effet, les missions de la police municipale sont extrêmement réduites : elle ne peut intervenir sur des crimes et des délits, mais uniquement sur des questions d’urbanisme, de circulation routière, ou de stationnement…

    À la racine de cette polémique, se trouve bien évidemment une droitisation du paysage politique sur la question de l’autorité de l’État et de la sécurité, qui touche y compris la gauche. Mais cela dit quelque chose de plus profond sur ce qu’est la police. La police est une institution qui, par construction, est pensée pour être touche-à-tout. Les mêmes fonctionnaires sont chargés d’assurer l’autorité de l’État dans des domaines aussi divers que la répression des consommateurs de drogue, les manifestations syndicales, et les infractions routières. Derrière le débat sur l’armement de la police et le spectre de l’insécurité, se cache en réalité celui de l’usage indifférencié de la violence légale pour traiter toutes les infractions à la loi, qui n’ont souvent rien de commun entre elles. Enfin, presque toutes. Car qui propose d’armer l’inspection du travail ou des impôts ?

  • Gouvernement Bayrou : fin du sursis ?

    Le conclave pour les retraites est arrivé à sa fin, et l’heure de vérité a sonné pour le gouvernement Bayrou, le PS… et le Rassemblement National. Décembre dernier : le gouvernement Barnier chute, après que le RN ait voté la motion de censure déposée par le gauche contre le passage en force du budget. Le gouvernement Bayrou est nommé quelques jours plus tard, et une motion de censure est à nouveau immédiatement déposée. Les députés socialistes rompaient l’alliance à gauche et s’abstenaient, laissant seuls la France insoumise et les Écologistes s’opposer au gouvernement, alors que le RN ne prévoyait pas non plus de voter la censure.

    Le Parti socialiste disait alors vouloir laisser sa chance au « conclave » sur les retraites, réunion de plusieurs mois entre syndicats et patronats proposée par François Bayrou. Dès la mi-mars, le nouveau Premier ministre intervenait pourtant pour dire que l’âge de départ n’est de toute façon pas négociable. Qu’importe : pour le PS, en ne votant pas la censure, il s’agissait d’abord de marquer sa différence avec la FI. Le « conclave » permettait de gagner du temps, d’apaiser en interne, et de reporter à leur congrès la question de l’alliance à gauche, sur laquelle Olivier Faure est attaqué depuis plusieurs mois par l’aile la plus à droite du parti. Et si le premier secrétaire a depuis été réélu par les socialistes, le Congrès qui s’est tenu mi-juin montre que l’unité de son parti est toujours aussi fragile. De nombreuses voix continuent de demander que soit dès maintenant interdite la participation à une alliance avec la FI en cas de nouvelle dissolution.

    Mais le « conclave » a définitivement échoué à produire un accord acceptable par les syndicats, après le départ de plusieurs d’entre eux en mars, et d’ultimes réunions cette semaine. Pour faire bonne figure, une motion de censure a été déposée par le PS. Si toute la gauche la vote aussi ce mercredi à l’Assemblée, elle n’a cependant que peu de chances d’être adoptée, alors que le RN affirme ne pas vouloir faire chuter le gouvernement avant le prochain vote du budget en novembre.

    Le gouvernement Bayrou reste donc plus fragile que jamais, et ne tient plus qu’à l’abstention du RN lors des votes de censure. Comme le PS durant les mois passés, ce dernier cherche à gagner toujours plus de temps. Fragilisé par l’inéligibilité de Marine Le Pen, et par sa concurrence en interne avec Jordan Bardella créée par la situation, le parti d’extrême droite a tout intérêt à éviter une instabilité institutionnelle. Si les gouvernements venaient à être censurés les uns après les autres, celle-ci pourrait en effet aboutir à une présidentielle anticipée, avant qu’un éventuel jugement en appel favorable à la leader fasciste ne soit prononcé.Le conclave pour les retraites est arrivé à sa fin, et l’heure de vérité a sonné pour le gouvernement Bayrou, le PS… et le Rassemblement National

  • Dominique de Villepin est toujours de droite

    On le sentait venir depuis un moment : Dominique de Villepin a lancé le 24 juin son nouveau parti politique : « La France Humaniste ». Il ne cache pas ses ambitions, tournées vers la présidentielle de 2027. Les divers comptes « Avec Villepin » ou autres outils de communication à son service apparus sur les réseaux sociaux l’année dernière, sont encore plus clairs : sa campagne est bel et bien lancée.

    Longtemps à l’écart de la vie politique, l’ancien premier ministre de Chirac de 2005 à 2007, d’aujourd’hui 71 ans, s’est fait remarquer ces derniers mois pour ses prises de position médiatiques sur Gaza ou sur la colonisation israélienne en Cisjordanie, et sur la politique diplomatique française en général. En cela, il fait écho à ce qui est resté un moment politique marquant dans la mémoire de beaucoup de gens, y compris de gauche : son discours à l’ONU en 2003, expliquant le refus de la France de s’engager dans une guerre en Irak, alors que tous les autres alliés des États-Unis les suivaient.

    Clairement, Villepin cherche à séduire à gauche, au-delà de son camp traditionnel. Il perçoit qu’une partie de la popularité de la France insoumise vient de ses positionnements sur la Palestine, et pense pouvoir séduire une partie de ses électeur-ices. Mais malgré ce petit twist sur les questions géopolitiques, il se place surtout, comme Edouard Philippe ou Gabriel Attal, dans la course pour conquérir l’espace que laissera à droite Emmanuel Macron en 2027. La constitution lui interdit de briguer un troisième mandat, et le parti LR fait sauter toutes les distinctions idéologiques avec l’extrême-droite.

    Il a compris cependant que pour reconstituer un vrai soutien à cette droite gaulliste, il fallait tenir compte du rejet du macronisme, et donc se distinguer de son bilan. Il va ainsi d’esbroufe en esbroufe : il propose, ce 25 juin sur France Inter, d’abroger la réforme des retraites d’Elisabeth Borne et l’âge de départ à 64 ans… pour mettre en place la retraite à points, à savoir le projet de réforme des retraites d’Emmanuel Macron en 2019, dont la pandémie de Covid19 avait empếché d’être adopté. 

    Mais cela ne surprend personne, car Villepin, ce n’est pas seulement le refus de la guerre en Irak. C’est aussi, en 2006, le CPE, contrat première embauche, attaque majeure du droit du travail, donnant lieu au plus important mouvement social de la décennie 2000-2010. Trois millions de personnes dans les rues avaient alors poussé le premier ministre à renoncer d’appliquer son projet de loi. Celui qui prétend « défendre la justice sociale et l’ordre républicain », n’a en réalité pas vraiment changé : il est toujours de droite.

    Dominique de Villepin, dans Le Parisien cette fois-ci, dit vouloir « une politique d’équilibre et de mesure ». Sur un plan moral, il veut se présenter comme distinct de l’extrême-droite. Il critique donc Retailleau, affirmant une besoin « de plus de professionnalisme et de moins de surenchère sur les plateaux télé » pour « la responsabilité qui est la sienne, qui est la sécurité des Français et de renvoyer les OQTF ». Expulser les étrangers aussi, donc, mais en silence.

    La multiplication des ambitions personnelles, le manque de clarté et les rangs dispersés à droite, ne sont pas forcément une mauvaise nouvelle pour la gauche. Tant qu’on est bien clair sur qui est de droite.

  • Au Salon du Bourget, tapis rouge pour les marchands de mort

    Le 16 juin s’ouvre la 55e édition du Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget : une vitrine géante de l’industrie de guerre, qualifiée par les organisateurs de « rendez-vous mondial de l’excellence et de l’innovation ». L’excellence, en temps de guerres, ce sont 2 400 exposants de 48 pays venus signer des contrats, sous les applaudissements des chefs d’État, généraux et investisseurs. Ce sont des drones dits “fiables” et “performants”, déjà testés sur des civils à Gaza ou au Sahel. Ce sont 150 milliards de dollars de contrats signés l’an dernier entre deux démonstrations aériennes, l’équivalent de la moitié du budget de l’Etat.

    En 2023, la France est devenue le 2e exportateur mondial d’armement, derrière les Etats-Unis et devant la Russie. Son chiffre d’affaires d’exportations d’armement a atteint 18 milliards d’euros l’année suivante. Cette année, l’« économie de guerre » voulue par Emmanuel Macron fait grimper le budget militaire à 70 milliards d’euros par an, en ponctionnant l’épargne populaire et imposant l’austérité. Et ce n’est pas un hasard : le Salon du Bourget est organisé sous égide ministérielle et en collaboration avec les grands industriels français de défense, dont l’État est parfois actionnaire jusqu’à 50%.

    Depuis quelques semaines, le gouvernement français jure qu’aucune arme n’est vendue à Israël. Pourtant, des ONG ont identifié un flux continu de livraisons d’armes et de pièces françaises depuis octobre 2023 à destination d’Israël, par avion et par bateau : des drones, des fusils, et des composants électroniques décisifs pour faire fonctionner les drones et armes israéliennes. Pendant que le ministère des Armées tente de maintenir une façade, le Bourget ouvre ses portes aux entreprises israéliennes. Parmi elles, on compte Aeronautics Group, dont les drones Orbiter 4 ont été utilisés à Gaza, ainsi que Israel Aerospace Industries, qui salue le “rôle essentiel » de ses propres drones dans les bombardements à Gaza. Seront également présents Elbit Systems, dont les drones sont notamment connus pour avoir tué les sept humanitaires de World Central Kitchen en avril 2024, aux côtés de la société française Eurolinks, qui fournit des pièces détachées pour fusils-mitrailleurs à une filiale d’Elbit systems.

    Face à cette obscénité, plusieurs associations réunies dans le collectif Guerre à la guerre organisent le rapport de force et appellent à une semaine de mobilisation du 16 au 22 juin. Objectif : contrer le business de la guerre et la participation des associations israéliennes au salon. Et la méthode a déjà fait ses preuves. En mai 2024, une campagne de mobilisation a permis l’annulation de la présence des 74 stands israéliens initialement annoncés à ce salon. Plus récemment, la mobilisation des dockers et personnels portuaires qui ont refusé de charger des conteneurs de pièces d’armement à destination d’Israël a été une victoire concrète dans la bataille pour mettre fin au génocide.

    Face à l’ampleur des violences, le sentiment d’impuissance est courant, mais il n’est pas une fatalité. Les guerres ne sont pas des phénomènes naturels : elles sont organisées, financées, rationalisées, et justifiées par la propagande. Et ce qui est construit peut être démonté. Chaque contrat, chaque cargaison, chaque drone a une logistique, des ouvriers, des routes, des ports, des complicités. C’est aussi là que nous pouvons agir.

  • Mois des fiertés, nous des fiertés

    Mois des fiertés, nous des fiertés

    La décennie 2010 a été synonyme de droits et de nouvelles réalités sociales pour les personnes LGBTI dans de nombreux pays. Mais en Hongrie, aux États-Unis, en Russie, au Ghana, en Ouganda : les droits des personnes LGBTI sont aujourd’hui attaqués de partout et reculent, souvent avec l’appui des conservateurs (voir notre article ailleurs page 2). En France, les personnes homosexuelles subissent des discriminations, dans l’emploi, dans la santé. Les personnes trans doivent toujours passer au tribunal pour avoir des papiers correspondant à leur identité, et subissent des violences médicales tout au long de leur vie. Le droit d’asile pour les personnes LGBTI persécutées dans leur pays d’origine est chaque année plus restreint.

    L’affiche de la principale marche des fiertés d’Île-de-France montre cette année, entre autres, une femme portant le voile, une autre avec un drapeau hongrois et un pin’s aux couleurs du drapeau de la Palestine, et une pancarte appelant à lutter contre « l’internationale réactionnaire ». L’affiche a été attaquée par l’extrême droite dès sa publication. Signe des temps, Valérie Pécresse comme Aurore Bergé se sont jointes à l’offensive, et ont toutes deux annoncé supprimer les subventions publiques accordées chaque année à la marche. Une certaine forme de pinkwashing, de communication institutionnelle apparemment en faveur des droits LGBTI, faisait pourtant partie depuis quelques années du discours de leurs courants politiques respectifs, bien que jamais accompagnée de mesures concrètes. Il semblerait que ce ne soit plus le cas.

    « La première pride était une émeute » peut-on aussi lire souvent sur les pancartes, en référence aux émeutes de 1969 à New York. Les prides et marches des fiertés d’aujourd’hui sont généralement des manifestations pacifiques et planifiées, bien que souvent tenues dans des contextes répressifs. Ce slogan peut sembler creux, mais il est un point de départ pour tirer le fil de nos solidarités. Les partisans d’identités LGBTI dépolitisées ne voient la question des violences LGBTI-phobes que comme un problème policier et sécuritaire. C’est pourtant très souvent l’État lui-même qui empêche l’accès aux droits et à une vie digne. La marginalisation des personnes LGBTI dans la société se croise, d’une manière qu’on ne peut souvent pas même distinguer, à la violence raciste et anti-pauvres.

    La première marche véritablement organisée ne fut pas l’émeute de 1969. Elle fut dès 1970, une manifestation, préparée des mois à l’avance, qui affirmait la solidarité de l’ensemble du mouvement associatif avec les émeutier⋅es de l’année précédente. La radicalité est bien là : ne pas laisser imposer de limites à nos solidarités.