VIH : le risque de la reprise épidémique ? 

, Numéro

Photo d'un patchwork des noms.

L’Organisation Mondiale de la Santé, l’ONUSIDA, le Fonds mondial de lutte contre le VIH, les associations françaises comme internationales le répètent depuis des mois : nous courons le risque d’une reprise épidémique du VIH/sida. Concrètement, il s’agirait d’une période d’augmentation de la transmission de la maladie après une période de contrôle ou de déclin. 

Depuis les années 1980 où le virus était méconnu, puis sa découverte sans option de traitement satisfaisante, la lutte contre le VIH a fait de grands progrès. Les premières trithérapies commercialisées en 1996 permettent aux malades d’envisager la perspective d’une vie avec le VIH. Malgré cela, du fait des monopoles pharmaceutiques, les traitements restent peu accessibles dans le monde et les années 2000 sont la décennie la plus meurtrière de l’histoire de l’épidémie. Dans les années 2010, l’accès massif aux antirétroviraux et de nouveaux outils de prévention permettent de réduire massivement les nouvelles infections et de faire des progrès considérables pour réduire la transmission mère-enfant. Autour de 2016, deux événements changent la donne. D’une part, on démontre scientifiquement qu’une personne vivant avec le VIH sous traitement et avec charge virale indétectable ne transmet pas le virus. Un slogan apparaît : Indétectable = Intransmissible (I=I ou U=U en anglais). D’autre part, la PrEP, médicament préventif qui permet aux personnes séronégatives d’éviter les transmissions, est commercialisée. 

Malgré des réticences de certaines associations, médecins et agences à intégrer la PrEP à la palette de prévention, le produit fait rapidement une différence majeure. Il peut en théorie réduire l’incidence du VIH de l’ordre de 50% ou plus dans des populations à haut risque. Pour beaucoup de populations particulièrement exposées au virus, la PrEP a permis un changement de paradigme dans la sexualité, après des années particulièrement meurtrières. Pourtant, cet outil reste sous-utilisé. En 2023, environ 3,5 millions de personnes ont « reçu la PrEP au moins une fois », mais ce chiffre reste bien inférieur à l’objectif mondial fixé pour 2025 de 10 millions d’utilisateurs-rices. Dans la plupart des pays, les femmes représentent quant à elles moins de 10% des utilisateur-ices. À l’échelle de l’épidémie pourtant, la majorité des concernées sont des femmes : en 2024, elles représentaient 53% de toutes les personnes vivant avec le VIH. En cause notamment, les difficultés d’accès au produit, la stigmatisation, le manque d’information, et les difficultés à prendre un comprimé quotidiennement.

Certaines populations sont plus exposées au virus, non pas par nature mais en raison de ce qu’elles vivent : discrimination, criminalisation, violences, difficultés d’accès aux soins. C’est par exemple le cas des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes, des usager-es de drogues injectables, des travailleur-ses du sexe, des personnes trans, des personnes migrantes ou encore des personnes incarcérées. Dans la lutte contre le VIH, on parle de « populations clés » car elles doivent être au cœur de la réponse ; pour en finir avec l’épidémie, il faut lever les obstacles auxquels elles font face. 

Ce n’est donc pas seulement du côté biomédical qu’il faut chercher les causes d’une reprise épidémique. Dans certaines régions comme en Europe de l’Est, ce sont les politiques répressives, notamment à l’égard des usager-es de drogues injectables, qui sont en cause dans la hausse des transmissions. Et à l’échelle mondiale, un autre fléau : les coupes budgétaires. En 2025, les Etats-Unis qui finançaient jusqu’ici plus de 80% des programmes de lutte contre le VIH dans le monde ont brutalement suspendu leur aide bilatérale dans ce domaine, avant d’en rétablir une maigre partie sous conditions strictes. Ils rejoignent une série de pays, dont la France, qui ont successivement baissé leur aide publique au développement, jusqu’à -57% dans le cas de la France. En d’autres termes, les pays les plus riches en font moitié moins qu’hier pour lutter contre le VIH. 

Le 21 novembre dernier, la reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a essuyé une coupe de plus de 4 milliards de dollars. La France, pourtant second contributeur historique, n’a même pas annoncé de montant pour sa participation. Fait assez surprenant pour être noté, les États-Unis ont quant à eux bien annoncé une contribution, à hauteur de 4,6 milliards de dollars, soit une coupe de 23% par rapport à la reconstitution précédente. Quelques jours plus tard, le gouvernement étatsunien annonçait pourtant que les fonds publics ne pouvaient être utilisés dans le cadre d’activités commémoratives liés à la Journée mondiale de lutte contre le sida du 1er décembre, et que le personnel ne pouvait ni prendre la parole dans ce cadre ni promouvoir des événements externes via les réseaux sociaux ou dans les médias. Dans la continuité de la règle du bâillon ou Mexico City Policy, les Etats-Unis cherchent à censurer tout ce qui sert aussi la lutte contre le VIH : les droits des femmes, les droits LGBTI, la santé sexuelle et reproductive, etc.

Comment expliquer cette contradiction ? Dans toutes les communications autour de la crise du secteur, un mot revient sans cesse : lenacapavir. Ce produit, commercialisé par le laboratoire californien Gilead, représente un véritable espoir. Administré par injection sous-cutanée une fois tous les six mois seulement, il permet de se protéger du virus. Aux États-Unis, Gilead facture environ 42 250 $ US par personne par an pour ce produit. Dans les pays les moins développés, le laboratoire s’offre l’accès à un marché immense en négociant un prix de 40 $ US par patient-e par an dans 120 pays à revenu faible et intermédiaire, à partir de 2027. Mais pour que la demande existe, l’industriel étatsunien a besoin de toucher les populations les plus concernées, et donc des outils financiers et logistiques de la santé mondiale. Et c’est ce que les fascistes découvriront tôt ou tard : on ne peut pas lutter contre le virus sans les populations clés.

Abonnement

3

,75

 €

chaque mois

Tu t’abonnes au journal, au prix que ça nous coûte de l’imprimer et de te l’envoyer. Tu recevras chaque numéro aussi longtemps que tu le souhaiteras.